mercredi 27 avril 2011

Sus aux vieux !

   Vous dirigez un mouroir où croupissent des grabataires béarnophones ? Vous connaissez un vieillard, ou une vieillarde, pas trop décatis, qui parlaient gascon avant de parler français ? Donnez leur signalement à l’Ostau Bearnés, la maison de la culture occitane du Béarn. Rendez-vous sera pris. Des responsables vous rendront visite, ce qui mettra un peu d’animation dans votre établissement. Éventuellement, on vous soulagera un moment de vos vieux débris. Ils seront trimballés gracieusement, pour être photographiés en compagnie d’enfants qui apprennent l’occitan, de stagiaires qui se destinent à l’enseignement de l’occitan, de prédicateurs qui œuvrent à l’occitanisation du Béarn. On leur offrira un jus de fruit et des petits gâteaux. Peut-être même des bonbons. Ça leur fera une distraction, puis ils regagneront leurs pénates.
   Tâchez à cette occasion d’éviter les sujets qui fâchent, surtout si des journalistes sont présents pour immortaliser la scène. Il conviendra de sermonner vos vioques à l’avance afin qu’ils s’abstiennent d’évoquer le sujet tabou entre tous, celui de la graphie. Car si vos croulants, comme tous les croulants, n’aiment pas la graphie occitane, la vérité n’est pas toujours bonne à dire. Le but de l’opération, en effet, est de donner l’impression que le nouveau patois se propage en Béarn avec la bénédiction de nos anciens, à qui la pratique du béarnais apporte du « réconfort », comme nous l’explique avec une subtilité jésuitique la lettre d’information de l’Ostau Bearnés, qui vante depuis quelque temps ses grandes manœuvres gérontophiles.
   Sans vouloir offenser les militants qui vont tenir le crachoir à des pensionnaires de maisons de retraite, ou s’efforcent tant bien que mal de pallier les insuffisances des enseignants de Calandreta, il y a beaucoup d’ostentation dans cette tardive sollicitude. À défaut de reconnaître ses erreurs, l’occitanisme s’imagine pouvoir les réparer en faisant la charité à ceux qu’il a floués, en amadouant ceux qu’il a supplantés.
   Il reste que pour le vieux Béarnais moyen, rien n’est plus inconfortable que la graphie occitane, puisqu’elle l’empêche de lire et d’écrire sa langue maternelle et qu’il n’en retire que de la frustration. Malgré de réelles qualités, cette graphie érudite joue depuis une quarantaine d’années un rôle d’accélérateur dans la déperdition de la langue régionale, tout un peuple béarnais et gascon ayant préféré retenir sa langue plutôt que d’avoir à subir une véritable rééducation, infligée par des hordes de fanatiques, dont les plus acharnés sont souvent d’une incompétence crasse dans le maniement de la langue en question.
   L’Ostau Biarnés exhibe de vieilles personnes tout en exultant devant la signalisation en graphie occitane récemment implantée à Pau, sans trop s’embarrasser de scrupules. Le triomphe de l’occitanisme est à ce prix. Cet engouement aussi subit que médiatisé pour le quatrième âge arrive à la rescousse pour fournir aux parents d’élèves et aux politiques des preuves tangibles que les « locuteurs naturels » et les occitanistes marchent la main dans la main, et travaillent de concert à la transmission radieuse d’une langue de plus en plus merveilleuse, même si celle-ci a tellement changé — de nom, de graphie, et parfois même de lexique et de syntaxe, dans un appauvrissement et une déformation consternants — que nos aînés ont bien du mal à s’y retouver.
   Après les enfants, les personnes âgées. L’occitanisme instrumentalise les plus faibles de nos concitoyens, dont il escroque l’assentiment.
   Alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pour aller plus loin dans l’entourloupe, je suggère qu’on photographie des ruines en fauteuil roulant (plutôt que des maires ou des militants comme à l’accoutumée) au pied de chaque panneau portant une inscription en graphie occitane, pour montrer à la face du monde que nos doyens approuvent sans réserve le progrès linguistique qui a fait d’eux des empotés dans leur propre commune :
   « Allez pépé ! Vas-y mémé ! Faites-nous un sourire, le petit oiseau va sortir ! »
   Ce sont des bouches inutiles. Autant qu’ils rendent service avant de dégager. Place aux jeunes !

Marilis Orionaa

lundi 17 janvier 2011

Badaboum Patapouf, la réalité de Sèrgi Javaloyès

   Rappelons l’historique. Sèrgi Javaloyès, après de vaines tentatives du côté des littératures catalane, castillane, française, se rabattit sur la littérature occitane, où la critique n’a pas cours. Il remit le brouillon de son premier roman à un quatuor d’occitanistes (par ordre alphabétique : Jacques Lasserre, Jean-Paul Latrubesse, Gilbert Narioo et Maurice Romieu), qui furent chargés de transformer la chose en littérature occitane à peu près crédible. Manque de bol, Marilis Orionaa, la fille du nègre Narioo, aperçut le manuscrit qui traînait sur le bureau de son papa et le feuilleta. Elle fut frappée par l’abondance et l’énormité des fautes qui émaillaient le texte, et par la multiplicité des corrections que les petites mains étaient contraintes d’y apporter. Elle avait beau savoir qu’il s’agissait d’une pratique courante au royaume d’Occitanie, où tout est encore en chantier, elle ne put s’empêcher de s’indigner dans son for intérieur qu’on leurre à ce point le public. Sèrgi Javaloyès fut récompensé par le prix Jean Boudou. Puis il vola de ses propres ailes, avec moins de bonheur, forcément.
   D’ordinaire, les auteurs occitans qui se sont fait arranger la prose évitent de faire les mariolles une fois leur œuvrette publiée, et s’arrangent pour renvoyer l’ascenseur d’une manière ou d’une autre, en mettant telle de leurs compétences au service de la cause. Le savoir-faire de Sèrgi Javaloyès dans le domaine du marketing, sa vraie spécialité, ferait-il avancer le schmilblick ? Hélas ! Il fallut se rendre à l’évidence : Sèrgi Javaloyès ne militait guère que pour la reconnaissance universelle du talent littéraire de Sèrgi Javaloyès. Tant et si bien qu’en 2005 Marilis Orionaa, excédée par ces simulacres de vie littéraire, s’attela à la lecture d’un recueil de nouvelles du grouillant Javaloyès et publia une retentissante chronique de critique littéraire occitane, une grande première. Le roi était nu.
   Jean-Paul Latrubesse et Gilbert Narioo furent ravis (Jacques Lasserre était décédé entre temps). Après quelques remous, Sa Majesté, toujours nue comme un ver, continua stoïquement à se pavaner. Quant à Maurice Romieu, on s’aperçut qu’il avait des talents de prestidigitateur : il venait tout juste de publier une grammaire d’occitan gascon dans laquelle un grand nombre d’exemples sont signés Sèrgi Javaloyès, lequel fait donc désormais autorité, un tour de passe-passe particulièrement réussi.
   Venons-en à l’actualité. Notre écrivain de référence a intitulé sa dernière production Sorrom Borrom (sourroum-bourroum en graphie autochtone), une onomatopée évoquant un bruit de chute. Sous-titre : Le Rêve du Gave. La quatrième de couverture annonce « une geste épique puissante ». Celui qui rêve, manifestement, c’est l’auteur. Il a tellement rêvé qu’il était aussi un grand poète qu’il a fini par prendre son rêve pour la réalité, l’occitanisme favorisant ce genre de confusion fatale.
   On aimerait pouvoir fermer les yeux sur ce nouvel accès de graphorrhée carabinée. Mais la boursouflure du style décourage toute velléité d’indulgence. La cucuterie y atteint des sommets. Même la traduction peine à faire illusion : « écharpe de gloire », « rubis des rayons perdus », « châteaux d’amour », « pluie d’éternité », « ponts de l’éternité », « cloches de cristal », « rayon de nos espoirs », « étoiles du jour glorieux », « sente du vrai retour », « banquet du jour nouveau », « sables de l’incertitude », « trésors de reflets », « pêcheurs d’infini »… y brillent de tout leur clinquant. On descend le cours du gave de Pau, qui sert de prétexte à des digressions vaseuses. Notre Sèrgi, toujours soucieux de montrer qu’il a de l’entregent, profite de cette visite guidée pour égrener les prénoms de quelques-unes de ses relations, notamment occitanistes. Salut, les copains ! Mais il n’a pas une attention pour Jacques, Jean-Paul, Gilbert et Maurice. Quelle ingratitude ! Son « poème épique » porte en épigraphe un court passage de Belina (ou Beline) de Miquèu de Camelat, qu’il n’a pas été capable de recopier correctement puisqu’il a raccourci de trois pieds un alexandrin. La langue versifiée de Camelat était fluide, précise, envoûtante. Le charabia cahoteux de Javaloyès est éprouvant. Mots rares, constructions hasardeuses et tournures alambiquées sont là uniquement pour l’épate, notre plumitif s’exprimant en gascon de façon rudimentaire à l’oral. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Le grand Camelat écrivait à la lueur d’une bougie dans une pauvre arrière-boutique. L’insipide Javaloyès a pignon sur rue, et même plusieurs pignons occitans sur plusieurs rues béarnaises, et nous vend sa verroterie avec force boniments. De Miquèu de Camelat à Sèrgi le camelot, grandeur et décadence de la littérature gasconne.
   De cette camelote Joan Francés Tisnèr a tiré un spectacle lucratif, avec bruitages diffusés en « octophonie », du bluff technologique destiné à masquer la vacuité de la prestation. On connaissait la chanson occitane de patronage, un concept fignolé par Joan de Nadau : on fait monter toute une smala d’amateurs sur scène et leurs familles rappliquent pour remplir la salle. Voici venir la poésie occitane de patronage : on rameute quelques comparses chargés d’animer la séance, on invite les élèves de l’école de musique voisine pour être sûr qu’il y ait des djeu’ns, leurs parents tout attendris arrivent en renfort pour faire la claque, et la presse locale souligne l’intérêt du public pour cette démonstration de liquéfaction de la langue béarnaise.
   Pendant ce temps Alexis Arette continue d’écrire des poèmes sublimes qui ne sont pas publiés, nos élus préférant financer l’édition d’une sous-littérature occitane. On se souvient du mythe d’Orphée, le poète qui descend aux enfers pour aller chercher son épouse mordue par un serpent. L’Orphée du Béarn s’appelle Alexis Arette. Il a traversé l’enfer occitaniste pour l’amour de sa langue maternelle. Rien ne lui aura été épargné : lettres anonymes, injures, menaces de mort, car c’est cela aussi l’occitanisme. Et pire que tout, la censure. On cherchera vainement des extraits d’Alexis Arette dans les recueils, anthologies, manuels, dictionnaires et autres ouvrages didactiques publiés par les occitanistes du Béarn. Sa poésie étant le contraire de leur langue de bois, il importait de la faire disparaître. Toute la clique a donc organisé sciemment le boycott du plus grand poète béarnais de tous les temps, le plus profond, le plus fécond. Et si Roger Lapassade était si peu avide de gloire c’est peut-être parce qu’un poète d’une toute autre envergure était relégué dans l’ombre par l’occitanisme. Et qu’on ne me fasse pas le coup de la graphie. Pour peu qu’on le lui demande poliment, Alexis Arette acceptait qu’on le cite en graphie occitane. Mais il est interdit de parler en bien d’un livre d’Alexis Arette : la revue País Gascons a refusé ma chronique consacrée à un ouvrage parfaitement apolitique, recensant les expressions empruntées à l’observation du monde animal et passées dans le langage courant. Dans la revue Reclams, la dernière publication d’un poème d’Alexis Arette remonte, me semble-t-il, à l’an 2000. Qu’il ait été membre du Front National est finalement une aubaine pour les occitanistes, qui dressent contre lui de jeunes militants ignares comme on lâche des pitbulls. Et bien entendu, toute personne qui prend fait et cause pour le poète Alexis Arette est suspectée d’appartenir à l’extrême droite et fait l’objet de ragots colportés par le verdâtre David Grosclaude, qu’on voit venir de loin avec ses gros sabots et ses allusions épaisses à l’idéologie nécessairement noire de tous ceux qui contestent les bienfaits de l’occitanisation. Or quelles que soient les idées politiques d’Alexis Arette, bien malin qui en trouvera le reflet dans sa poésie ! Elle est simplement humaine et bouleversante. Elle nous parle de la vie, de l’amour et de la mort, dans une langue béarnaise riche, souple, et qui a la courtoisie d’être toujours parfaitement compréhensible.
   En réalité Alexis Arette sert de repoussoir. En effet la graphie normalisée, dite classique, sur laquelle repose le dogme occitaniste de la langue unique, a été codifiée par le pharmacien audois Louis Alibert, condamné à la prison pour collaboration à la Libération. Or cette même graphie alibertine de sinistre mémoire est aujourd’hui religieusement enseignée à ces chères têtes blondes des écoles Calandretas. Par conséquent les occitanistes qui ressassent le parcours politique d’Alexis Arette c’est l’hôpital qui se fout de la Charité.
   Au fait, il paraît que François Bayrou trouve notre querelle « bête à pleurer ». Il a contribué à mettre en place une organisation qui pratique la censure et le matraquage, détourne les fonds, manipule les jeunes gens, leur inculque la haine de la France et le mépris de la langue française et leur promet monts et merveilles avec l’avènement d’une Occitanie fantasmagorique. Quand on postule soi-même à la présidence de la République française, c’est vrai que c’est bête et qu’il y a de quoi pleurer. Mais il fallait y penser avant et se préoccuper de savoir à qui profitaient ses largesses.
   Que je sois également victime de cette censure n’a donc rien d’étonnant. L’occitanisme veut des militants, pas des artistes. Je me demande comment Joan Francés Tisnèr parvient à se donner bonne conscience, comment il parvient à faire de beaux discours idéalistes aux enfants du Collège Calandreta où il officie. A-t-il le nez qui s’allonge comme Pinocchio ? J’ai remarqué qu’il portait souvent un grand cache-nez. Car s’il est diffusé sans relâche sur Ràdio País, sa consœur Marilis Orionaa y est persona non grata, une situation d’autant plus aberrante que Joan Francés Tisnèr nous bassine à longueur de journée avec des rengaines folkloriques. Marilis Orionaa écrit et compose chansons et poèmes en béarnais mais on ne l’entend pour ainsi dire jamais. La dame catéchiste Lekuona, véritable dragon de vertu occitaniste, y veille avec un soin jaloux.
   Ràdio País est diffusé sur le site de l’Institut occitan, dont le directeur est précisément Sèrgi Javaloyès, ce drôle de littérateur beaucoup plus doué pour jouer des coudes que pour écrire.
   Renée Mourgues, toujours aussi mystique, tomba en extase sitôt qu’elle eut entre les mains l’épopée du poétereau Javaloyès. Elle s’empressa de l’encenser dans L’Éclair des Pyrénées, avec le vocabulaire éthéré qui était de mise. Mais sainte Renée a beau se shooter à l’encens, ce pompeux Rêve du Gave cache mal la réalité piteuse de son auteur. Du rêve à la réalité, plus dure sera la chute.
  
   Marilis Orionaa

dimanche 21 novembre 2010

Conseils à un jeune acteur culturel occitan

  Il y a une seule manière de parler correctement occitan, c’est la manière cul-bénit. Malraux nous avait vaguement prévenus que le XXIe siècle serait religieux, les occitanistes en ont fait leur credo.
  Parler occitan en public revient donc à dire ses prières à voix haute. Il y a de nombreuses prières. Il y en a tout un bréviaire. Il faut les connaître sur le bout des doigts. L’astuce consiste à les réciter dans le désordre pour avoir l’air d’improviser.
  Les digressions sont risquées. On se retrouve à court de vocabulaire, aux prises avec des conjugaisons douteuses, des subjonctifs scabreux, des auxiliaires embarrassants, des concordances des temps suspectes, des accords du participe passé inextricables. Un acteur culturel occitan digne de ce nom doit savoir éviter les pièges du hors sujet et se cantonner paisiblement dans ses prières.
  Les seules variations sans danger sont à rechercher du côté de l’intonation. Ainsi, il est loisible d’adopter un ton courroucé, farfelu, badin, conquérant, selon le tempérament de chacun, mais ce sont toujours les mêmes prières. Voici leurs titres (dans leur traduction française) : la prière pour faire vivre la langue occitane ; la prière pour transmettre la langue occitane ; la prière pour prôner une graphie unique permettant l’intercommunication entre les différents dialectes de la langue occitane ; la prière pour exalter les panneaux rédigés dans cette même graphie occitane ; la prière pour louanger les écoles confessionnelles occitanes ; la prière pour glorifier les processions et cérémonies ecclésiastiques occitanes… sans oublier la prière qu’on peut lire entre les lignes sur Internet, réclamant l’internement d’urgence de Marilis Orionaa en hôpital psychiatrique, avec camisole de force, électrochocs et barbituriques, car il faut vraiment qu’elle soit folle pour tenir tête avec une langue de vipère à des occitanistes qui manient si bien la langue de bois.
  Et on termine comme il se doit par un signe de la croix occitane : au nom de l’InÒc, du CAP’ÒC et du CFPÒC (là aussi on a l’embarras du choix), amen.

Marilis Orionaa

mardi 29 juin 2010

L’Évangile selon sainte Renée

   Rendons justice aux jeunes gens du forum Occitania, à qui j’avais envoyé mon Jésus de Nadau à l’Olympia. Ils le publièrent, en débattirent et renchérirent sur cette idée toute simple qu’une culture sans critique est une aberration. Sur un autre forum de discussion, la flicaille occitaniste, toujours partante pour un contrôle d’identité, se mit aussitôt à glapir que Marilis Orionaa n’était pas mon vrai nom, un scoop aussi ratatiné qu’éventé, mon état civil figurant depuis belle lurette à la première ligne de la première page de la première rubrique de mon site Internet. La même barbouze versa dans la psychologie de comptoir : je réglais mes comptes avec mon occitaniste de père. Le diagnostic était doublement erronné : mon géniteur est revenu de l’occitanisme et ma satire l’a enthousiasmé. Des internautes me remercièrent de leur dessiller les yeux, d’autres de les égayer. Des croyants furibonds, révulsés par mon ignominie, me sommèrent de faire acte de contrition pour avoir blasphémé le nom du pro-fêtes. Des sectateurs de tout poil volèrent au secours du pauvre petit Joan de Nadau, si fragile, si vulnérable, sauvagement agressé par la cruelle et toute-puissante Marilis Orionaa, laquelle était mue de toute évidence par une jalousie féroce.
   À dire vrai, n’importe quel artiste qui se respecte aurait honte de se propulser à la capitale pour y prêcher des convertis, dans l’indifférence quasi-totale du public parisien et de la presse musicale, et sans le moindre visuel sur le site de la salle louée pour cette opération événementielle d’esbroufe.
   Arnaud Delbarre, le très discret directeur général de l’Olympia depuis que celui-ci n’est plus qu’une filiale lucrative d’Universal, s’est-il offusqué de ce que j’assimilais son Lascaux II à un vulgaire local commercial ? A-t-il souhaité rasséréner un bon client en réparant un oubli fâcheux ? Ayant sympathisé avec ce même client, a-t-il voulu montrer au visiteur épaté jusqu’où pouvait aller le copinage ? Toujours est-il qu’un bon bout de temps après la bataille l’affiche du groupe Nadau fit une apparition inopinée sur le site de l’établissement, légendée d’un tonitruant « L'Olympia remercie Joan et toute l'équipe de Nadau pour le formidable spectacle du samedi 24 avril 2010 », cousu de fil blanc. C’était un peu tard, mais mieux vaut tard que jamais. Et tout est bien qui finit bien pour Joan de Nadau, dont la carrière artistique repose depuis une vingtaine d’années sur de grossières techniques de marketing, les formules magiques « trois Zéniths », « trois Olympias », agissant comme un sésame sur la mentalité des organisateurs de fêtes patronales plus soucieux de remplir leurs salles polyvalentes que de s’enquérir de la façon dont un prétendu phénomène de société a été entièrement fabriqué. Car l’esprit de Bruno Coquatrix ayant déserté les lieux depuis longtemps, l’Olympia n’est plus qu’un beau décor où à peu près n’importe qui peut se produire aujourd’hui moyennant finances, 21 500 € aux dernières nouvelles.
   Dans les couloirs du conseil général des Pyrénées-Atlantiques, on s’alarma. Les prouesses quantitatives du groupe Nadau ont toujours été fort appréciées par nos politiques pour des raisons bien compréhensibles, peu d’élus résistant à l’attrait d’un bain de foule procuré grâce aux efforts conjugués du lobby occitaniste et d’une espèce de gourou faussement rustique, habile à flagorner son public. De fervents défenseurs des valeurs de la République manifestèrent une allergie soudaine à la liberté d’expression et exercèrent de discrètes pressions pour faire taire la pamphlétaire. Un compromis fut trouvé : un sas de sécurité permettant d’accéder à mon blog avertit désormais les promeneurs qu’ils s’engagent sur cette voie à leurs risques et périls et qu’il est inutile de venir chercher des noises à l’Institut béarnais et gascon si leurs certitudes volent en éclats à la lecture de la prose de l’irréductible Marilis Orionaa.
   Dans L’Éclair et La République des Pyrénées, dès le lundi qui suivit la teuf, un compte rendu gratiné fut publié par Renée Mourgues, championne du journalisme de proximité et exégète du grand poète pour analphabètes Joan de Nadau. Car ce laborieux rimailleur, qui se contente bien souvent d’aligner des mots déjà chargés de connotations (la terre, la mer, le soleil, la montagne, la pierre, le chemin, la fontaine…), ne peut passer pour un troubadour que grâce à l’ignorance dans laquelle l’occitanisme entretient l’opinion en censurant tout ce qui fait obstacle à son nivellement purificateur.
   S’il y a un homme qui mérite d’être considéré comme le plus grand poète d’expression béarnaise, ce n’est certainement pas Joan de Nadau, comme l’a claironné il y a quelques années François Bayrou, qui joue volontiers les experts alors qu’il peine à soutenir une conversation en béarnais, mais bien plutôt Alexis Arette. Et parce que la littérature est plus grande que la politique, plus grande que la linguistique, plus grande que les affinités des uns et des autres, l’occitaniste socialiste Roger Lapassade lui-même s’inclinait devant l’extraordinaire talent de son adversaire, avec qui il avait fondé le festival de Siros en 1967. Les temps ont changé. En 2010 les militants sont obtus et Alexis Arette est tabou. Si les occitanistes rouvrent le camp de Gurs pour y entasser leurs dissidents, je demande à être enfermée avec Jean Lassalle, qui lui non plus ne cache pas son admiration *. On se récitera des poèmes d’Alexis Arette en attendant des jours meilleurs. Car depuis que leur culture occitane n’est plus que de l’idéologie, une idéologie qui a toutes les caractéristiques d’une religion de substitution, Alexis Arette a de nombreux défauts rédhibitoires aux yeux des bigots et bigotes de confession occitane. Qu’un ex-militant du Front national, farouchement anti-occitaniste de surcroît, puisse être dans le même temps un génial poète béarnais de l’œuvre duquel toute personne qui prétend s’intéresser à la langue autochtone de Béarn et Gascogne à intérêt à se rapprocher pour s’en imprégner, voilà qui dépasse l’entendement pour le Q.I. de nain de jardin de l’occitaniste moyen, ravagé par la lecture hebdomadaire des psaumes de David Grosclaude et qui n’aspire plus qu’à faire ses dévotions à l’ombre de la croix occitane. Aussi la secte des occitanistes du Béarn, s’inspirant de pratiques rodées en U.R.S.S. sous Staline, s’efforce-t-elle d’effacer jusqu’au nom d’Alexis Arette de ses recensements et place-t-elle sur un piédestal celles de ses recrues qui lui paraissent les plus aptes à répandre sa doctrine délétère, tel le médiocre Joan de Nadau, ou encore le burlesque Javaloyès, qui ne rate jamais une occasion de se ridiculiser en se drapant dans sa dignité d’écrivain de langue occitane, pour tenter de faire oublier qu’il est aussi illisible qu’inécoutable par quiconque sait un tant soit peu à quoi ressemblent le béarnais et le gascon lorsqu’ils sont harmonieusement écrits et parlés.
   Quoi qu’il en soit, de l’aveu même des fans qui s’épanchent sur le livre d’or de Nadau, on apprend au milieu d’un invraisemblable déballage de guimauve que le raid fut loin d’être un succès : le concert avait déjà commencé que la moitié de l’auditoire attendait sur le trottoir de passer à la fouille ; il y avait beaucoup de viande soûle dans la salle (ce qui est prévisible quand on fait l’apologie de la féria) ; une bonne partie des spectateurs ont préféré plaisanter bruyamment plutôt que d’écouter Joan de Nadau radoter ses immuables présentations (qu’ils connaissent par cœur de toute façon) ; le malheureux François Bayrou s’est fait copieusement huer (c’est bien fait pour lui) ; les arrangements joués par la fanfare de service étaient un peu lourdingues ; et les vigiles, loin d’être subjugués par cette caricature de liesse populaire du Sud-Ouest, étaient visiblement pressés d’en finir. En revanche, le voyage en train remporte tous les suffrages, et c’est toujours ça.
   Mais sainte Renée de la Proximité ne l’entendit pas de cette oreille. Sitôt que retentirent les premiers accords de la banda landaise, recrutée pour faire comprendre aux plus bornés que toute autre mimique qu’un visage hilare était malséante au début d’un concert de Nadau, l’envoyée spéciale de la presse locale se pénétra une fois de plus de cette idée saugrenue que sa mission ici-bas était de manier l’encensoir pour nous vanter les mérites de la musique occitane de stricte obédience. Avec une conception toute particulière de l’objectivité journalistique, la groupie du crooner du bas Luchon donna donc libre cours à sa félicité, afin d’éclipser mon propre projet de mise en scène sur le thème de l’Épiphanie, où elle aurait pourtant joué avec brio le rôle de la ravie de la crèche. La sainte nitouche de Pyrénées-Presse fit d’ailleurs allusion à ma pochade : Joan de Nadau ne dégoisait pas des « platitudes »,  mais de l’humanité, de l’identité, de l’ouverture, de la modernité… Bref, des poncifs. Et notre béate de se pâmer de plus belle sur l’expérience ébouriffante qu’elle venait de vivre.
   On eut même droit au décompte des victuailles embarquées à bord des trois TGV affrétés pour l’occasion. On sut alors le fin mot de l’affaire. Si Joan de Nadau a renoncé à se distinguer par l’originalité de ses chansons, s’il se complaît dans le conformisme pour être sûr de faire du chiffre, s’il additionne frénétiquement Zéniths, Olympias, trains, spectateurs, DVD, barriques de pinard, canettes de bière, miches de pain, fromegi, charcuterie, et autres conquêtes dont sa fidèle Renée supervise la scrupuleuse comptabilité, c’est dans l’espoir de pouvoir tout au moins entrer un jour en grande pompe dans le Livre Guinness des records.

Marilis Orionaa

* Jean Lassalle, La parole donnée, le cherche midi, 2008, p. 29-30.

samedi 17 avril 2010

Jésus de Nadau à l’Olympia

   Le groupe occitan Nadau s’apprête à monter pour la troisième fois sur la scène de l’Olympia, la fameuse salle parisienne reconstruite à l’identique, qui de temps à autre, pour faire entrer un peu d’argent dans la caisse, loue ses planches à des baladins provinciaux en mal de vedettariat, à cette condition toutefois que ces derniers s’engagent à organiser eux-mêmes l’acheminement de leur public vers la capitale en bus ou en train, avec la complicité d’élus démagogues. Pour ne pas nuire à l’image de marque de l’Olympia, la communication reste discrète. L’affiche du groupe Nadau est donc absente du site Internet du célèbre music-hall, contrairement à celles de tous les artistes invités.
   Il me semble qu’il faudrait scénariser ce non-événement.
   Comment en sommes-nous arrivés là ?
   Au début des années 90, alors qu’il chantait confidentiellement depuis des lustres, Joan de Nadau a commencé à cogiter. Comme il est bon en calcul, il s’est aperçu que s’il arrivait à racoler quatre cents personnes pour les caser sur scène, il remplirait aisément le Zénith de Pau avec les familles et les voisins. Dès lors, le pli était pris. Joan de Nadau s’est constitué porte-parole du petit peuple de nos contrées, qu’il photographie dans ses chansons, soi-disant. Tant de sollicitude n’est peut-être pas totalement désintéressée. Populisme et gros sous faisant souvent bon ménage, le grand reporter Joan de Nadau se garde bien d’expliquer à ceux qu’il caresse dans le sens du poil que les droits d’auteur versés par la Sacem sont proportionnels au prix et au nombre des entrées.
   Et pour attirer les chalands, notre poète ne recule devant rien. Aujourd’hui, il fait tirer des feux d’artifice, comme pour une fête nationale. Demain il fera tirer le canon. Sa mégalomanie sert les nationalistes, qui ont besoin de prouver qu’ils sont une multitude. L’absence de critique musicale occitane permet à ce chantre de la diversité de truster le marché. Dans la pseudo-culture occitane en effet, le port ostentatoire de signes idéologiques et le militantisme bruyant sont des preuves irréfutables de valeur artistique. Aussi est-il impensable de critiquer la musique de patronage d’un groupe bardé de croix occitanes, qui sponsorise les écoles Calandretas. Le rouleau compresseur Nadau avance sur un terrain soigneusement déblayé, purgé des dissidents qu’on a fait taire en les traitant systématiquement de psychotiques pour les exclure. Le groupe emblématique occitan de Gascogne est donc le fruit de la propagande et de son corollaire la censure, une censure habile, occulte, mais décourageante et efficace de tous les auteurs-compositeurs-interprètes d’expression béarnaise et gasconne qui n’ont pas la vocation de devenir les V.R.P. comiques de l’occitanisme.
   Car Joan de Nadau est très farceur. Dès qu’il est en représentation, il exagère son accent gascon. En concert, il prend un air inspiré pour débiter des platitudes. Quand on l’interviewe, il bafouille comme un débutant submergé par l’émotion. Il a du mérite. Mettons-nous à sa place : prisonnier du personnage bon enfant qu’il s’est créé de toutes pièces, il est contraint de s’en tenir aux lieux communs, sous peine de provoquer une épidémie de méningite chez les braves gens un peu simples et les occitanistes intellectuellement limités qui boivent ses paroles. Interrogé sur France 3 Pau Sud-Aquitaine à propos du bouquin que venaient de lui consacrer deux hagiographes, il a trouvé le moyen de déclarer que c’était « comme si ces trente-trois ans de chansons prenaient un sens tout d’un coup », ce qui revenait à avouer qu’auparavant tout ce remue-ménage n’en avait guère. Comment parler avec pertinence quand on porte un masque ingénu, c’est le problème insoluble que ce prof de maths aujourd’hui à la retraite s’acharne à résoudre inlassablement pour nous distraire.
   Mais les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures et celles de Joan de Nadau, interminables et ressassées, sont usées jusqu’à la corde. La venue d’un orchestre de chambre ne suffira pas, j’en ai peur, à renverser la vapeur, la virtuosité des instrumentistes n’ayant réussi jusqu’à présent qu’à faire ressortir l’affligeante banalité des compositions du leader à béret inamovible. Car plus consensuel, tu meurs ! « Même pas mal », nous rassure à ce sujet, en français de cours de récréation dans le texte, le refrain d’une de ses chansons.
   Je propose donc une mise en scène exceptionnelle, à la mesure de la haute idée que l’intéressé a visiblement de lui-même.
   On sait que les cochonnailles jouent un rôle déterminant dans le conditionnement des supporters de Nadau, qui auront fait ripaille pendant le voyage. Pour marquer les esprits embrumés par les vapeurs du madiran, il est indispensable d’introduire un peu de spiritualité dans le déroulement de la soirée. Or quoi de plus spirituel que le mystère de la nativité, cette grande fête à laquelle le nom même de Nadau, Noël en gascon, est une invitation ? D’ailleurs, le précédent album ne s’appelait-il pas Saumon ? Saumon de Noël, le cadeau idéal pour les fêtes de fin d’année, il fallait y penser. C’est qu’il en a sous le couvre-chef notre artiste officiel du parti ! Et plus récemment, la Vierge Marie elle-même n’est-elle pas devenue la protectrice attitrée du groupe, à la faveur d’un cantique s’achevant par les mots « Maria de Nadau », cantique composé par le même Joan de Nadau décidément de plus en plus subtil ?
   À peu de frais, il est possible de transformer rapidement la scène de l’Olympia en crèche vivante. Il suffira de déposer une botte de paille au milieu du plateau et d’y installer notre Messie dans le plus simple appareil, une serviette de bain entortillée autour des hanches en guise de langes. Bien emballée dans un vieux drap de coton teint en bleu ciel, l’ensorcelante Ninon Paloumet campera à coup sûr une Vierge Marie plausible. Les musiciens, soigneusement grimés grâce à des accessoires qu’on aura dénichés dans n’importe quel magasin de farces et attrapes, se répartiront les rôles pour incarner qui Joseph, qui le bœuf, qui l’âne gris, qui les anges descendus des cintres à l’aide de poulies actionnées par les machinistes. Quant à Gaspard, Melchior et Balthazar, les Rois mages accourus pour adorer notre Sauveur, on aura pris soin de demander à Bayrou, Lassalle et Ricarrère d’apporter leurs robes de chambre à l’Olympia. Ils iront discrètement les revêtir dans les coulisses, juste avant de faire leur entrée en scène les bras chargés de subventions, coiffés de couronnes en carton doré récupérées lors de leurs dernières dégustations de galettes à la frangipane, et l’illusion sera parfaite. L’enfant Jésus saisira alors son accordéon diatonique, ouvrira la bouche… Ô miracle ! La mélodie enchanteresse de L’Imortèla, ce chef-d’œuvre impérissable de la liturgie occitaniste, cette sublime illustration du style pompier dans ce qu’il a de plus pur et de plus authentique, s’élèvera dans un silence recueilli, avant d’être reprise en chœur et avec entrain par l’assemblée des fidèles. Les cloches de Notre-Dame de Paris sonneront à toute volée pour signaler la chose. Benoît XVI, alerté, donnera à tout hasard sa bénédiction du haut du balcon de la basilique Saint-Pierre de Rome. Et comme la grand-messe de l’Olympia sera retransmise en direct sur toutes les chaînes de toutes les télévisions du monde entier, Céline Dion, scotchée devant son écran par le talent inouï, le phrasé incomparable, le swing irrésistible du divin enfant, s’exclamera :
   « Tabernacle ! Ce type est trop fort, il faut absolument que j’enregistre un album en duo avec lui.
   — A star is born ! » confirmera René, qui s’y connaît.
   Et dès le lendemain, notre héros s’envolera pour Las Vegas et ce sera enfin le début de la carrière internationale dont Joan de Nadau, devenu John of Christmas pour les besoins du showbiz, a tant rêvé dans le secret de son coeur. Merci qui ?

   Marilis Orionaa

mardi 9 février 2010

Non à l’autoroute occitane !

   Dans le journal d’information du conseil régional d’Aquitaine paru l’été dernier, une photo me choque : à l’angle d’une vieille maison rurale se dressent les piliers monstrueux d’un vaste chantier d’autoroute. Juste en dessous, deux photos d’espèces animales menacées, vison d’Europe et écrevisse à pattes blanches, que l’A65, nous dit-on, va tout faire pour épargner. En vis-à-vis, les visages souriants de deux chefs d’entreprise.
   Sur l’avant-dernière page, un titre tout aussi effrayant : « L’occitan, gatge de desvelopament ». Il est question, cette fois, de gérontologie et de la prise en charge des personnes âgées par des personnels formés à la langue et à la culture occitanes. Deux photos illustrent l’article : une jeune fille aux petits soins avec une vieille dame, un jeune homme empressé auprès d’un vieux monsieur.
   Hormis une poignée de vétérans de l’occitanisme, je ne connais pas une seule personne âgée qui accepte de désigner sa langue maternelle par le mot occitan, avec tout ce que ça recouvre de bouffissure, d’imposture et de pousse-toi de là que je m’y mette. La sonorité même du mot occitan leur est insupportable. Nos anciens ont fait de la résistance à l’occitan. Ils l’ont fait à leur manière, discrète, courtoise. « L’occitan ne passera pas par moi », disent en substance toutes les vieilles personnes que je connais. Le cynisme de l’occitanisme est tout entier dans cet acharnement : « Vous n’en avez pas voulu tant que vous étiez valides ? À présent que vous êtes diminués, il va falloir faire avec ! »
   La similitude entre les deux pages est frappante : occitan et autoroute, même combat ! L’occitan vole au secours des petits vieux, l’autoroute dorlote les bestioles en voie de disparition.
   En réalité, même laideur du novlangue et du béton, même brutalité des crédits, mêmes méthodes d’intoxication.
   Tout comme l’autoroute, l’occitan rapporte beaucoup à quelques-uns et nuit considérablement à quantité d’autres. Dans Sud-Ouest, en juillet, on apprenait que le CFPÒC d’Orthez, le Centre de Formation Professionnelle en langue et culture occitanes, venait d’empocher la coquette somme de 63 000 €. Le directeur du CFPÒC affichait la mine réjouie d’un loueur de bulldozers. Trois mois plus tard, le conseil régional d’Aquitaine, via son préposé aux langues et cultures régionales, informait par courrier l’Institut Béarnais et Gascon qu’il n’entrait pas dans ses priorités de lui venir en aide. L’Institut Occitan et le CFPÒC, oui. L’Institut Béarnais et Gascon, non. Au moins c’était clair.
   À quoi sert le CFPÒC ? À délivrer des diplômes loufoques, aux noms de bretelles d’autoroutes, à des adultes qui ont appris tant bien que mal à bredouiller quelques phrases rédigées en graphie normalisée. Qu’on ne s’y trompe pas. Il ne s’agit nullement de transmettre une langue et une culture mais, à terme, de réduire au silence tous les béarnophones restés insensibles aux beautés de la graphie occitane : « T’as ton A2 ? T’as ton B2 ? Non ? Alors tu fermes ta gueule ! »
   À quoi sert l’Institut Occitan ? C’est la question vertigineuse que semble se poser tous les mois son président lui-même, Eric Rey-Bèthbéder, tant chacun de ses éditoriaux rappelle à s’y méprendre un exercice d’autosuggestion façon méthode Coué : « Nous sommes utiles ! Ah ! Que nous sommes utiles ! Il est indubitable que nous sommes utiles ! » Et d’énumérer les charmants travaux auxquels il se consacre, selon des méthodes qui ont fait leurs preuves puisqu’elles sont empruntées au totalitarisme : propagande tous azimuts en faveur de l’occitanologie et de ses adeptes ; publicité éhontée pour une marque de textile dont les créations sont dans la ligne du parti (ce qui permet à ladite marque d’exercer un quasi-monopole sur le marché convoité du tee-shirt identitaire ou celui, tout aussi prospère, de l’affiche de vœux de bonne année placardée sur les abribus) ; organisation de réceptions avec petits fours en l’honneur de personnalités approbatrices, que l’InOc remercie de leur complaisance en leur décernant son prix de bonne camaraderie occitaniste… toutes activités lucratives qui occupent à plein temps une équipe de bureaucrates salariés, confortablement installés au premier étage du château d’Este à Billère et menant grand train, grâce au financement du département et de la région, et au racket du contribuable béarnais et gascon.
   Une autre besogne, inavouable, requiert également Eric Rey-Bèthbéder et son équipe : elle consiste à rayer des documents officiels, ainsi que des listes de liens du site de l’InOc, les noms de Béarnais et Gascons irrécupérables, l’iconoclaste Marilis Orionaa bien entendu, mais aussi le chanteur réfractaire Jean-Luc Mongaugé, les poètes hérétiques Alexis Arette et Alain Lalaude, les linguistes hétérodoxes Jean Lafitte et Jean-Marie Puyau, et bon nombre de déviationnistes que l’Institut Occitan, pour continuer à engloutir des subventions tout en feignant de valoriser la langue patrimoniale de Béarn et Gascogne, a intérêt à jeter aux oubliettes.
   On sait que le tracé de la liaison autoroutière entre Pau et Langon a occasionné d’âpres discussions et provoqué l’expropriation de familles impuissantes, qui ont dû renoncer aux maisons et aux granges bâties par leurs aïeux, réduites à des tas de pierres déblayées par des machines. Aucune indemnisation ne peut réparer un tel effondrement de son histoire personnelle et familiale.
   Une langue est le trésor de la communauté qui l’a reçue en partage. Mais pour se l’approprier (selon l’une de leurs expressions favorites), les occitanistes, tout comme les commanditaires de l’autoroute A65, ont décidé que le meilleur moyen était d’en exproprier les héritiers légitimes. La création d’emplois au service de la langue et de la culture occitanes n’a pas d’autre but. C’est ainsi que nous voyons accéder à des postes-clés de l’administration, de l’enseignement et des médias toute une frange de miliciens maniant une langue occitane épouvantable (syntaxe française, phonétique française, rhétorique française, saupoudrage idiomatique pour faire couleur locale, lexique indigent du milieu militant occitaniste, élocution embarrassée ou mécanique, diction approximative), prêts à défendre bec et ongles leurs privilèges. Les Béarnais et Gascons récalcitrants n’ont qu’à bien se tenir, et à tenir leur langue. Désormais, le respect de la doctrine occitane passe avant tout, avant la langue béarnaise et gasconne elle-même, avant l’histoire, avant la culture, avant la littérature, avant la compétence linguistique, avant le talent artistique, avant le génie littéraire, avant la poésie, avant l’honnêteté intellectuelle.
   L’occitan est une langue grise comme le béton, qui défigure le paysage culturel, exproprie à tout-va et impose ses nuisances à grand renfort de pognon.
   Parmi toutes les turpitudes qu’on nous inflige jour après jour au nom des fausses valeurs de la communication et du progrès, la prétendue culture occitane n’est plus guère qu’un projet d’autoroute supplémentaire qu’il est urgent de faire échouer.

Marilis Orionaa

lundi 2 novembre 2009

De la nécrologie sous régime occitaniste

Albert Peyroutet nous a quittés en juin 2009. Il était et il restera un grand écrivain béarnais, un styliste accompli, sensible, subtil et d’une remarquable justesse de ton. Le directeur de l’Institut Occitan s’est fendu d’une nécrologie via la newsletter intitulée Clinhet (clin d’œil), ce qui est déjà en soi d’un goût douteux en pareille circonstance. Dans le registre chafouin qu’on lui connaît, Sèrgi Javaloyès nous ressert sa prose grumeleuse, en français chichiteux et en occitan du Béarn, s’efforçant de faire passer sa petite entreprise de
récupération pour un hommage.

« Il nous soutint, nous encouragea à persévérer, à supporter le sarcasme et l’invective », déclare-t-il avec des trémolos.

Seulement voilà… en 2004, j’avais envoyé à Albert Peyroutet une première ébauche de ma fameuse chronique Be bebeja lo babau !, et il m’écrivait à son tour (le début de sa lettre est en français) :

Ma chère Marilis,

Tes deux pages sur notre ami Java m’ont beaucoup diverti, et je t’en remercie. Ça change des critiques louangeuses qu’on trouve un peu partout. Toi, tu n’y vas pas avec le dos de la cuillère ! […] J’espère que cette analyse décapante sera lue par celui qui en est l’objet. Sincèrement, je pense qu’une bonne douche froide nous fait du bien, à tous. Pauvre Java ! On sent qu’il voudrait tant être le Faulkner occitan (ou peut-être le Conrad, mais il n’est pas si facile de s’approprier une autre langue).

Albert Peyroutet m’a également confié, un jour d’amertume, avoir été dégoûté de l’écriture par les corrections intempestives que l’occitaniste aveyronnais Maurice Romieu faisait subir à ses textes avant publication aux éditions Reclams, éditions auxquelles présidait justement l’inénarrable Javaloyès. Mais c’est le propre des apparatchiks que de prononcer l’éloge funèbre de ceux qu’ils ont eux-mêmes contribué à décourager. Notons que dans la bibliographie jointe à son pensum, l’avisé nécrologue se garde bien de
mentionner Countes bracs (Marrimpouey, 2008), le dernier livre d’Albert Peyroutet revenu à la graphie béarnaise.

Et comme on pouvait s’y attendre, notre remuant communicant termine son laïus par l’évocation vibrante de ceux qui, à l’instar d’Albert Peyroutet, s’efforcent de « construire une œuvre dans cette langue menacée ». Le constructeur Javaloyès est confiant : cette langue « est loin d’avoir épuisé toutes ses ressources » (en clair, les subventions vont continuer à engraisser la nomenklatura occitanocrate). Bref, une langue choisie « pour dire notre monde, cet universel qui seul exige de nous », conclut-il en beauté, non sans lucidité.

Heureusement que l’universel est là pour avaler les couleuvres de Javaloyès avec son « œuvre » ! Parce que nous autres Béarnais et Gascons étriqués, particularistes, nous refusons d’ingurgiter cette bouillie de pataquès.

Marilis Orionaa